Prix de Genève pour les Droits de l’Homme en Psychiatrie 2024

Le jury du Prix de Genève 2024 était composé des membres suivants : Samia Hurst ; Danuta Wasserman ; Fulvia Rota (excusée) ; Robert Roth ; Jean Zermatten ; Marianne Kastrup (présidente)
Le jury s’est réuni le 23 août 2024 pour évaluer les candidats et sélectionner le lauréat du Prix de Genève sur la base des critères suivants :

La candidature doit :

  • Être centrée sur la défense des Droits de l’Homme en psychiatrie – et non seulement les Droits de l’Homme en général,
  • Démontrer une action soutenue et une productivité au fil du temps,
  • Faire la preuve d’un immense engagement personnel et professionnel
  • Concerner un contexte exceptionnel
  • Le candidat ou la candidate ne doit pas avoir reçu un grand nombre de prix auparavant.

Prix de Genève :
Le jury a décidé à l’unanimité d’attribuer le Prix de Genève 2024 à Madame Valentina Hristakeva :

Valentina Hristakeva est née en Bulgarie et a obtenu un baccalauréat en sciences sociales. En 1998, elle a rejoint l’Association des réformateurs en psychiatrie et a ensuite occupé plusieurs postes liés à la « Global Initiative of Psychiatry » à Sofia, jusqu’à ce qu’elle en devienne directrice exécutive en 2002. Mme Hristakeva a créé un service communautaire intégré axé sur l’utilisateur et un modèle complexe de services de santé mentale fondé sur les droits.

La variété des programmes mis en place dépasse de loin ce qui se fait habituellement et inclut en particulier une ligne d’information, un service de soutien juridique et de médiation, un travail effectué en étroite collaboration avec le système judiciaire, des formations aux compétences sociales, un collège du rétablissement, une formation professionnelle avec ses propres entreprises sociales, un centre de jour, et des programmes d’éducation et de lutte contre la stigmatisation. Elle a également joué un rôle central dans l’introduction de modifications à la loi sur la santé dans le domaine de la santé mentale, une loi qui, en Bulgarie, garantit les droits des personnes handicapées et celles des personnes souffrant de graves problèmes de santé mentale. Son travail en tant que défenseure de l’un des groupes les plus vulnérables s’est déroulé dans une société qui avait besoin de moderniser la psychiatrie et il a eu un impact important sur la pratique quotidienne des soins en santé mentale. Mme Hristakeva se bat depuis des décennies pour la désinstitutionalisation et la transformation des soins institutionnels, ainsi que pour l’autonomisation des utilisateurs, des soignants et des professionnels. L’organisation non gouvernementale ne met plus l’accent sur la maladie ou la carence, mais sur les personnes elles-mêmes, sur leur résilience en tant qu’êtres relationnels et contextuels. De plus, elle a joué un rôle central dans l’élaboration de politiques et de la défense des droits, ainsi que dans la mise en œuvre de campagnes de lutte contre la stigmatisation et de sensibilisation du public en faveur des personnes atteintes de maladie mentale. Ces personnes qui, en raison de la spécificité de leur état mental ou des circonstances de leur vie, n’ont pas été en mesure d’accéder au système de soins sociaux et de santé afin de recevoir des soins et un soutien adéquat et de qualité.

À la lumière de ces réalisations, le jury estime que Valentina Hristakeva est une excellente lauréate du Prix de Genève pour son travail durable et ses réalisations remarquables.

Discours de la lauréate Valentina Hristakeva :

Mesdames et Messieurs,

Recevoir le Prix de Genève pour les droits de l’homme en psychiatrie suscite en moi des sentiments mitigés. D’une part, je ressens une profonde fierté, en particulier envers mon équipe en Bulgarie, car sans elle, le travail qui a conduit à cette reconnaissance n’aurait pas été possible.
Ce prix ne m’appartient pas à moi seul, il nous appartient à tous.

Il est également profondément symbolique de recevoir ce prix exactement 25 ans après qu’il ait été décerné pour la première fois à l’Initiative de Genève sur la psychiatrie.
Vous ne savez peut-être pas que cette organisation porte aujourd’hui un nouveau nom — la Fédération pour l’initiative mondiale en psychiatrie (FGIP), dont mon organisation est également fière d’être membre.

En ce sens, ce prix leur revient également, à toute la famille GIP, qui a travaillé sans relâche pendant des décennies pour humaniser et moderniser les soins de santé mentale en Europe centrale et orientale, dans l’ancienne Union soviétique et bien au-delà.

Au fil des ans, la Fédération a eu un impact considérable. Une grande partie de ce que nous voyons aujourd’hui dans notre région n’existerait pas sans sa persévérance.
La FGIP est un exemple brillant de ce que la société civile peut accomplir grâce à son intégrité, sa détermination et ses efforts patients, année après année — souvent contre toute attente.

Ce prix appartient à tous ceux qui croient que la psychiatrie et les droits de l’homme ne sont pas en conflit, mais profondément liés. Une véritable qualité des soins est impossible sans le respect de la dignité humaine.
Et pourtant, même si nous célébrons ce moment, nous ne pouvons fermer les yeux sur la réalité qui nous entoure.

Cette année, la Fédération mondiale pour la psychiatrie célèbre son 45e anniversaire — une étape à la fois inspirante et qui donne à réfléchir.
Nous vivons une période où la société civile subit une pression énorme et où le climat politique — non seulement en Europe mais dans le monde entier — évolue rapidement et de manière alarmante.

Les droits de l’homme ne sont plus considérés comme des valeurs fondamentales. Pour de nombreux gouvernements, ils sont devenus gênants — voire menaçants.
En conséquence, dans un nombre croissant de pays, les droits de l’homme sont réduits à des mots vides de sens, dépourvus de substance.

L’abus politique de la psychiatrie est redevenu un moyen de répression — en Russie, en Chine, en Iran… et dans d’autres pays, dans des cas isolés.

Cela est particulièrement douloureux pour nous, car notre organisation — la FGIP — a été fondée en 1980 précisément pour lutter contre de tels abus.
Il est profondément troublant que, 45 ans plus tard, cette lutte soit à nouveau nécessaire.

En Bulgarie, les rapports du CPT et du Mécanisme national de prévention brossent un tableau similaire : manque chronique de personnel, mauvaises conditions et accès limité à la thérapie.
Il ne s’agit pas d’incidents isolés — mais de problèmes systémiques, observés dans de nombreuses régions du monde.

Ils affectent notre travail, ils affectent les personnes qui ont vécu cette expérience, et ils nous affectent tous.
Ce que nous avons construit au fil des années est aujourd’hui remis en question — voire détruit.
Le manque de liberté est à nouveau à nos portes.

Et lorsque les institutions ne parviennent pas à protéger les droits, elles ne parviennent pas non plus à fournir les soins eux-mêmes.
Cela doit changer.
Nous n’avons pas besoin de nouvelles promesses — mais plutôt de normes cohérentes, de professionnalisme et de responsabilité à tous les niveaux du système.

Le changement commence par la reconnaissance que les soins de santé mentale fondés sur les droits humains ne sont pas un idéalmais une nécessité.
Un système fondé sur les droits considère chaque personne comme un individu ayant un potentiel, et non comme un problème à gérer.
Il met l’accent sur le rétablissement, la dignité et les relations humaines — avec le soutien de professionnels valorisés et responsabilisés, et dans des environnements qui favorisent la sécurité, l’autonomie et le respect de tous.

Ce prix n’est pas une conclusion, mais un appel à l’action — à poursuivre notre mission et à insister pour que les choses changent.
Cette année, nous avons lancé le Cercle des amis, invitant les gens à se joindre à nous et à soutenir nos efforts en faveur des droits humains et contre l’abus politique de la psychiatrie.

Nous avons besoin de votre soutien.
Nous avons besoin de vos voix — pour amplifier celles qui ne sont pas entendues.
Ce n’est que par un effort collectif que nous pourrons mettre fin à cette spirale négative et créer un monde où les droits humains seront à nouveau au cœur de toutes nos pensées et de toutes nos actions.

Merci.

Diplômes :

Le jury a décidé à l’unanimité de décerner un diplôme aux candidats Moussa Ba et Sohail Ali pour leur travail exceptionnel et leurs réalisations dans la création de la Section de gestion du stress en cas d’incident critique (UN-CISMS) du Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies, une Section qui a la responsabilité de protéger la santé mentale des quelque 150 000 travailleurs humanitaires des Nations Unies déployés dans une myriade de zones telles que les zones de guerre, les zones touchés par des catastrophes naturelles ou par le terrorisme.

Moussa Ba, né au Sénégal, a obtenu un Ph.D. et est psychiatre. Il est l’un des 10 experts du groupe de travail qui avait été engagé par le Département des affaires sociales des Nations Unies pour concevoir le Plan d’action mondial en faveur des personnes handicapées pour les années 2000 et au-delà, et il a été le chef de la Section de gestion du stress en cas d’incident critique (UN-CISMS) du Département de la sûreté et de la sécurité de l’ONU de 2005 jusqu’à sa retraite en 2021.

Sohail Ali, né au Pakistan, est psychiatre et a auparavant travaillé à l’OMS en tant que chef d’équipe pour les cliniciens au service des collaborateurs travaillant en première ligne. Depuis 2007, il a occupé différents postes à l’ONU et, depuis 2022, il est le chef des programmes UN-CISMS.  Ensemble, ils ont mis sur pied des programmes de renforcement de la résilience et de soutien à la santé mentale pour les travailleurs de première ligne dans toutes les régions du monde et ils ont coordonné les activités de gestion du stress dans l’ensemble du système des Nations Unies. L’organisation compte aujourd’hui une équipe de près de 200 psychiatres et psychologues déployés pour protéger la santé mentale des quelque 150 000 humanitaires des Nations Unies qui travaillent dans les zones de guerre, les zones de catastrophes naturelles et les zones touchées par la violence organisée et le terrorisme. Leur travail de pionnier auprès des travailleurs de première ligne permet à ces derniers d’apporter une assistance à des millions de personnes dans les zones touchées. Ensemble, ils ont non seulement fourni des services de soutien en santé mentale de grande qualité aux travailleurs de première ligne, mais ils ont également défendu les droits des personnes atteintes de troubles mentaux et déplacées, lorsque leur vulnérabilité est particulièrement augmentée. A ce titre, ils se sont battus pour les Droits Humains en Psychiatrie.

Le jury estime qu’à la lumière de leurs réalisations, et pour célébrer leur rôle central dans la création de l’organisation UN-CISMS, ils méritent grandement de recevoir un Diplôme en reconnaissance de leur travail soutenu et percutant pendant des décennies.


Visites : compteur de visites